A propos des régressions anti-laïques et anti-démocratiques en cours

A propos des régressions anti-laïques et anti-démocratiques en cours

A propos des régressions anti-laïques et anti-démocratiques en cours

un texte de Bernard Dréano

nous reproduisons sur ce blog le texte publié ici le 19 janvier 2021 https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/01/19/a-propos-des-regressions-anti-laiques-et-anti-democratiques-en-cours/

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Ce qui ressort des lois récentes et des projets de loi, des décrets ou circulaires en cours de finalisation ou déjà appliquée signifie une régression démocratique sans précédent, en matière de laïcité, de droit d’association, de liberté d’opinion.

1° La laïcité dans la loi française

La constitution de la Ve république, dans sa rédaction actuelle, proclame dans son article 1 :

La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.

Observons que les termes ne sont pas forcément très clairs ou sont matière à discussion : que signifie « indivisible » ? Qu’elle exclut tout « séparatisme » sécessionniste… mais elle a reconnu un droit à l’autodétermination de son territoire de Nouvelle Calédonie ? Est-elle « sociale », au sens des objectifs définis dans le préambule de la Constitution de 1946 qui a valeur « supra-constitutionnelle » puisqu’il est cité en préambule (comme la déclaration des droits de l’homme de 1789). Je vous invite à relire ce préambule, pur produit du programme de la Résistance (et où l’on verra que les principes sociaux affirmés sont loin d’être appliqués). Et que signifie au juste une « organisation décentralisée » ???

Et la « laïcité » ? Elle n’est pas non plus explicitement définie, mais sa mise en œuvre est précisée par deux textes fondamentaux et les jurisprudences quant à ses applications concrètes

Un seul texte s’applique sur tout le territoire de la République Française, l’article 9 de la convention européenne des droits de l’homme (ratifié par la France le 3 mai 1974) :

Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Un autre texte ne s’applique pas sur tout le territoire, il s’agit bien sûr de la Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat qui précise notamment :

Article 1 : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.

La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes.

Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.

La formulation du premier paragraphe est beaucoup moins précise que la Convention européenne, mais dit en gros la même chose, et de toute façon la Convention (traité international) a une valeur juridique supérieure à la loi de 1905 (loi ordinaire). Par contre la loi de 1905 souligne plus fortement la responsabilité de l’Etat « d’assurer » la liberté de conscience.

L’originalité de la loi de 1905 par rapport aux principes énoncés dans la Convention est la proclamation de la neutralité de l’Etat en matière de « culte » (d’exercice de la religion). Contrairement à ceux qui croient à une « exception française », une telle neutralité est proclamée dans de nombreuses constitutions d’autres pays, ou plus ou moins pratiquée dans les faits par certains pays qui pourtant privilégient une ou plusieurs religions dans leurs textes fondamentaux (et c’est aussi le cas dans les territoires français où des religions sont privilégiées et où la loi de 1905 ne s’applique pas), mais qui sont tenus d’appliquer la Convention Européenne (c’est la raison pour laquelle la Grèce a dû retirer la mention de la religion sur les documents d’identité, mention entrainant des discriminations).

En France, la loi de 1905 ne s’applique pas en Alsace-Moselle, trois départements régis par la loi du 18 germinal an X (8 avril 1802) et d’autres textes qui la complètent, le régime « concordataire » entre l’Etat et les cultes catholiques, luthériens, calviniste et juifs. Si ce régime, dans son application pratique, ne s’avère pas contradictoire avec les principes de la Convention européenne, il autorise la non-neutralité de l’Etat puisque celui-ci peut financer des « ministres du culte » des quatre confessions citées et même, cas unique au monde, la nomination des évêques catholiques est soumise à l’approbation du Chef de l’Etat (même si celui-ci entérine toujours le choix de l’église)

Dès le départ il a été décidé de ne pas appliquer la loi de 1905 dans les colonies, et c’est resté le cas, malgré la demande explicite des Oulémas musulmans des département d’Algérie dans les années 1920. Les départements d’Algérie vivaient sous un régime communautariste imposé par la République qui faisait que les femmes de statut « Françaises Musulmanes » (c’est-à-dire l’immense majorité des Algériennes) n’ont eu le droit de vote qu’en 1958 !

Plusieurs territoires échappent toujours totalement à la loi de 1905 : la Guyane et tous les territoires français du Pacifique et dans une certaine mesure Mayotte. Concrètement par exemple cela signifie que l’évêque de Cayenne est fonctionnaire d’Etat de même que les Cadis (juges musulmans) de Mayotte (où la polygamie n’a cessé d’être légale qu’en 2005). Les Antilles et La Réunion ont été rattachées à la loi de 1905 en 1911, mais en vertu des « ordonnances Mandel » de 1939 certains financements des « cultes » sont possibles. Significativement ces « exceptions » sont régulièrement ignorées par bien des chantres laïcards de l’indivisibilité de la République… inconscient colonial ?

Si la République « ne finance aucun culte » la France est pourtant un des pays d’Europe où le soutien financier à des édifices cultuels et à des établissements confessionnels d’éducation est le plus massif, malgré les lois scolaires dues à Jules Ferry (en particulier la loi du 28 mars 1882 qui exclut l’instruction religieuse de l’école publique).

D’une part, en application de la loi de 1905 tous les édifices religieux construits avant cette loi ont été réquisitionnés par l’Etat (à charge pour lui de veiller à leur état général) et affectés aux organismes chargés spécifiquement des cultes (à charge pour eux de subvenir aux dépenses courantes et de n’utiliser ces lieux que pour les cultes – si vous voulez organiser un concert de Laurent Voulzy dans une église il vous faut, théoriquement, l’accord dérogatoire de l’évêque et du préfet). Evidemment l’immense majorité des édifices religieux en France en 1905 était catholique.

D’autre part la loi Debré de 1959 sur les relations avec les établissements d’enseignement privés ainsi que les lois spécifiques à l’enseignement agricole, ont instauré des systèmes de contrats intégrant ces établissements d’enseignement privés dans le système global public (programmes, cursus, diplômes, inspections, etc.), moyennant quoi les salaires des enseignants sont pris en charge par l’Etat. Dans cet enseignement privé sous contrat, l’immense majorité des établissements sont d’obédience catholique (il y a quelques établissements protestants, juifs, sans références religieuses et 4 petits établissements musulmans).

2° La remise en cause des principes de la laïcité républicaine au profit d’une « laïcité à la turque »

La loi « confortant les principes républicains »  est contraire aux principes de laïcité développés dans la Convention européenne et la loi de 1905, (elle n’est plus « contre les séparatismes », le mot a été retiré car totalement confusionniste, en philosophie politique le « séparatisme », c’est bien autre chose, mais nos macronistes l’ignoraient).

Précisons un point, la volonté du gouvernement semble être de vouloir privilégier le statut d’association cultuelle prévue par la loi de 1905 pour des associations à finalité religieuse (de culte), alors qu’aujourd’hui la majorité des associations potentiellement concernées sont sous le régime de la loi de 1901 ; quelles que soient les religions. Ce type d’associations « 1905 » spécifiques entraine des contraintes, notamment en matière comptable, car elles avaient été prévues par la loi de 1905 pour la gestion et les modalités d’affectation des moyens du culte appartenant à l’Etat (les églises, temples et synagogues construites avant 1905 et les biens mobiliers s’y trouvant), les protestants et les juifs l’avaient accepté, le Saint-Siège avait interdit aux catholiques d’y adhérer (en fait la papauté y voyait le risque de l’organisation d’une église nationale schismatique comme l’avait fait Henri VIII en Angleterre en 1531, la constitution civile du clergé dans la France révolutionnaire en 1790 et que le fera l’église patriotique de Chine en 1957). La question a été réglée en 1924 la République a accepté les associations diocésaines (sous statut de 1901) reconnues par le Vatican comme pouvant bénéficier des avantages reconnus aux associations cultuelles notamment en matière de legs exonérés d’impôts.

Le gouvernement voulait imposer à toute association supposée à vocation religieuse non seulement la qualification de « cultuelle » mais un système d’autorisation préalable, totalement contraire à la constitution et aux traités et conventions européennes et internationales ratifiées par la France. Le Conseil d’Etat l’a contraint à modifier sa copie, mais, comme le remarque justement Jean Bauberot (1) « il reprend d’une main ce qu’il a concédé de l’autre en instaurant un droit d’opposition de l’administration ».

Il a toujours été possible de refuser l’enregistrement d’une association parce que son objet serait contraire à l’ordre public. Mais maintenant c’est en fonction de l’appréciation de supposées « valeurs de la République » par des fonctionnaires sous l’autorité du ministre de l’intérieur du moment, et en plus avec des contrôles a posteriori tous les cinq ans, au nom de critères non définis. Sans même attendre cette loi d’ailleurs, on a un bon exemple du degré d’arbitraire que cela peut entrainer à la lecture de l’hallucinant décret du 2 décembre 2020 de dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France construit sur des amalgames, des ouï-dire, des « il semble que » (2) et où la Ligue des droits de l’homme a vu l’engagement du gouvernement vers l’instauration du délit d’opinion (3)

La nature de cette volonté se précise avec le document que le ministère de l’intérieur est en train de concocter avec la caution du Conseil français du culte musulman (surtout de, Chems-Eddine Hafiz, le « recteur » de la mosquée de Paris familier des ministères de l’intérieur français et algérien), une « Charte des principes du conseil national des imams » (4) qui interdit que soit critiqué un quelconque racisme d’Etat dans les mosquées ou qu’y soit fait allusion « à des conflits internationaux ».

L’objectif est, sinon d’instaurer un « Islam français », ce qui est faisable pour du camembert mais pas pour une religion, de clairement de mettre l’islam sous la tutelle de l’Etat. Ce que faisait d’ailleurs la République française dans les colonies, quand son empire était la deuxième (ou troisième selon les moments) des entités politiques comptant le plus de musulmans au monde.

« Le paradoxe » nous dit Jean Bauberot, « c’est que le gouvernement affirme renforcer la laïcité, alors qu’il porte atteinte à la séparation des religions et de l’Etat. Avec ce texte, il accorde un rôle beaucoup plus important à l’Etat dans l’organisation des religions et de leurs pratiques, et renforce le pouvoir de contrôle de l’autorité administrative, aux dépens de celui de l’autorité judiciaire ».

Il existe un mot pour décrire ce qui cherche à se mettre en place en France aujourd’hui, pas Laïcité mais Laiklik, sa version turque mise en place dans les années 1920 par Mustapha Kemal, explicitement inspirée du concordat napoléonien, où l’Etat décide des religions licites ou non, impose aux religions comment s’organiser, forme les imams (dans les fameux lycées spécialisés Imam Hatip dont un des anciens élèves s’appelle Recep Tayyip Erdogan) et dicte l’orientation des prêches.

Jean Luc Mélenchon n’a pas tort quand il dénonce dans la loi ex-séparatisme, une logique concordataire anti-laïque ! Appelons donc la « laiklique ».

3° Contre le droit libre d’association ?

L’attaque contre les associations en général ne concerne pas que les associations cultuelles ou réputées telles, et nous dit encore Jean Bauberot « vont profondément modifier les relations entre l’Etat et la société civile, dont font partie les religions » qui précise « Le retour de cette pratique administrative, aggravée par la nécessité d’un renouvellement de la déclaration tous les cinq ans, crée une redoutable insécurité juridique pour les associations ». Et pas seulement pour les associations religieuses.

Nombre d’association reçoivent des subventions. Dans la majorité des cas ces subventions sont affectées à des projets précis, dont l’administration se doit (elle ne le fait pas toujours) de vérifier la réalisation, dans certains cas elles couvrent des dépenses de fonctionnement que l’administration est aussi tenue de contrôler (elle ne le fait pas toujours). Mais dorénavant les subventions peuvent être retirées sur simple appréciation de l’administration pour « manquement potentiel » aux « valeurs de la République ». On a déjà vu des intimidations en ce sens envers des associations progressistes et laïques comme l’Assemblée citoyenne des originaires de Turquie (ACORT) ou l’Association des Travailleurs Maghrébins en France, du fait notamment de leur dénonciation des formes systémiques du racisme. Cette tendance va se multiplier, dans un contexte où de plus en plus de structures associatives sont dénoncées par des groupes ou institutions, comme vient de l’être la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE).

De plus, comme le soulignent l’avocat Olivier Cousi et le secrétaire général de Reporters sans frontières Christophe Deloire, dans une tribune du Monde du 7 janvier 2021, l’article 18 du projet de loi ex-séparatisme qui remplace l’article 24 controversé de la loi sécurité globale, menace ouvertement la liberté d’informer.

4° L’alliance du laïcardisme et de l’islamo-droitisme

Cette situation où se conjuguent un autoritarisme croissant, avec notamment la loi sur la sécurité intérieure vient s’ajouter aux nombreuses lois édictées depuis une quinzaine d’années, avec une idéologie particulière, que nous appellerons « laïcardisme » et des attitudes politiques particulières que nous appellerons « islamo-droitisme » (mais qui est aussi pratiquée par des dirigeants « de gauche »).

Le laïcardisme, c’est une idéologie professée par des gens qui partagent trois choses et en tirent quelques conclusions :

– La religion étant du « strict domaine du privé » elle n’a pas à exister dans l’espace public, et aucun courant philosophique ou politique ne peut s’en prévaloir dans cet espace.

– L’Islam est une religion qui, plus ou moins par essence, est dangereuse pour la République parce qu’elle proclame qu’il existe une loi transcendante supérieure à la loi des hommes (ce que font pourtant toutes les religions, même si toutes les religions ne font pas référence à un « Dieu ») et qui refuse de se cantonner au « privé » (ce que font pourtant aussi toutes les autres religions, même si leurs rituels et obligations, et leurs formes d’organisation sont très diverses).

– Une très grande ignorance de la réalité des religiosités dans les sociétés françaises et dans les autres, mais la croyance ferme (et nationaliste) à un « universalisme » exceptionnel français (on peut se demander si ça peut être universel et exceptionnel), menacé non seulement par l’Islam, mais aussi par le communautarisme notamment « anglo-saxon ». Au passage on peut s’étonner sur ce que les Saxons et leur sous-groupe des Angles ont à voir avec cela, mais si le communautarisme est la gestion du droit civil personnelle par communauté, il a par exemple été développé, à partir du substrat ottoman, par la République française mandataire au Liban et en Syrie, et l’on en trouve des éléments dans de très nombreux pays – d’Israël (très fortement) aux Pays-Bas ou en Allemagne (faiblement) bien plus qu’au Royaume uni « anglo-saxon » par exemple.

Ce que nous appelons islamo-droitisme (avec il est vrai un brin de provocation), c’est une politique, très majoritairement suivie par les gouvernements et autorités françaises, de se référer comme source normative en matière de pensées et de pratiques islamiques, à des écoles et institutions liées à des Etats alliés stratégiques de la France. On verra ainsi par exemple un Président de la république française aller demander le blanc-seing de l’université islamique d’Al-Azhar au Caire sur la licéité islamique de règles appliquées en France (une université totalement sous contrôle de l’Etat-armée d’Egypte), s’accommoder sans problèmes de la diffusion massive des vues néo-wahhabites réactionnaires de l’université islamique de Médine (créée en 1961 quand Al Azhar était sous contrôle nassérien), et de la Ligue islamique mondiale (Al Rabita al-alam el-islami), la première totalement et la seconde largement contrôlées par le Royaume d’Arabie saoudite où la variante wahhabite ultra-conservatrice est religion d’Etat, privilégier les organisations musulmanes françaises liées à l’ancienne Fédération nationale musulmane de France, devenue Rassemblement des musulmans de France, sous influence marocaine, et de son islam malékite conservateur étroitement encadré par l’Etat du « commandeur des croyants » qu’est le sultan marocain. Sans parler des groupes salafistes (fondamentalistes islamistes) soutenus par les Emirats Arabes Unis. Quant à la Grande mosquée de Paris, financée par la République et inaugurée en 1926 par le Président de la dite république, elle est depuis des décennies une agence paragouvernementale franco-algérienne sans grande influence sur le terrain.

Cet Islam politique là, que nous venons de décrire schématiquement est généralement ignoré par les laïcards et bien vu des gouvernants. « L’Islam politique » voué aux gémonies c’est celui de la mouvance des Frères Musulmans ou assimilés. Les Frères musulmans ont été créés en Egypte en 1928 ; et depuis pas mal d’eau est passée sous les ponts. Sans entrer dans les détails on peut considérer que l’islamisme turc, tendance national-islamiste Milli Gorüs (Voie nationale) dont est issu l’AKP de Recep Tayyip Erdogan, comme faisant partie de la même mouvance. Une mouvance diverse, pas un mouvement centralisé comme pouvait être l’internationale communiste stalinienne, essentiellement conservatrice et pro-capitaliste, avec à ses franges des courants progressistes ou salafistes. Les partis ou mouvements de cette mouvance ont été, ou sont, au gouvernement (en position dominante ou subordonnée) dans de nombreux pays : Maroc, Tunisie, Bosnie Herzégovine, Palestine, Jordanie, Yémen, Libye, Soudan, Malaisie,… bien peu de temps en Egypte (après les seules élections libres, avant d’être renversés par les militaires et leurs alliés salafistes) et bien sûr en Turquie. Cette mouvance « frériste » est violemment combattue par les Emirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite, l’Egypte et tous les groupes salafistes qui en dépendent (raison principale : ils réclament des élections), et donc bien sûr par leurs excellents alliés républicains français.

En France cette mouvance « frériste » est depuis longtemps majoritaire dans les institutions musulmanes (concrètement les associations gestionnaires de mosquées), sous la forme de l’ancienne Union des organisations musulmanes de France (UOIF) devenue Musulmans de France et du système confessionnel turc implanté en France. Ce qui ne signifie pas, loin de là que la majorité des pratiquants musulmans de France de toutes origines s’y reconnaissent.

5° Un résultat probable, renforcer « l’islam politique » et justifier les sécessions sectaires voire djihadistes

Jean Bauberot souligne dans son article déjà cité : « La possibilité que les subventions puissent être retirées en cas de manquement risque d’entraîner un double danger pour de nombreuses associations qui, avec obstination et souvent grâce à du bénévolat, tissent du lien social dans les quartiers difficiles : d’une part l’impossibilité de projets à long terme, et d’autre part la difficulté que ce « contrat », mal défini, soit mal compris sur le terrain et les discrédite auprès des populations qu’elles soutiennent aujourd’hui, au risque de voir émerger, dans cinq ou dix ans, de nouveaux « territoires perdus » de la République ».

A qui cela va-t-il profiter ? Les institutions musulmanes « bien vues » de la République, quoique généralement très conservatrices, ont de moins en moins d’impact à la base. Les mouvements associatifs non confessionnels mais composés largement de musulmans (pratiquants ou non) sont récupérés et souvent étouffés par les municipalités (sachant que les partis, de gauche notamment, n’ont plus guère de consistance sur le terrain). Toute association indépendante « grassroot » comme on dit en anglais, qui s’affirme musulmane ou à composante musulmane est immédiatement attaquée (comme les mères d’élèves ou les féministes pour l’égalité), ou comme Baraka City organisation humanitaire d’un peu d’ampleur, dissoute par le gouvernement, mais qui face aux attaques s’était rapprochée de la forme la plus organisée de la mouvance « frériste », le système confessionnel turc. Celui-ci allie quantité d’associations de gestion de mosquée financées par la classe moyenne turque en France, de mouvements associatifs (COJEP) et politiques (AKP) et une structure étatique de gestion des cultes (Dyanet). Ce courant « turc » a de l’influence aujourd’hui très au-delà de la seule communauté turque.

Suite aux inévitables excès de pouvoir et bavures, vexations et discriminations que nos nouvelles lois vont entrainer, entrainent déjà, un autre courant va considérablement se développer : le « salafisme diffus » nourri des frustrations et colères, alimenté par les réseaux sociaux et petits groupes affinitaires. Il a pour base la vulgate néo-wahhabite largement diffusée comme « islam », en en empruntant des traits littéralistes (lecture du Coran limitée et rejet de l’ijtihad – c’est-à-dire de la réflexion), sexistes, millénaristes (croyance en l‘imminence’ du jugement dernier). Ce n’est d’ailleurs pas propre à l’Islam, on retrouve les mêmes caractéristiques dans des sectes protestantes néo-évangéliques et adventistes en pleine progression en France. Ceci se déroule très loin des structures liées à «l’Islam politique » conservateur que combat le gouvernement. Mais c’est l’idéologie dont se réclame la petite (mais réelle) minorité de ces « salafistes:0 » qui s’est reconnue dans Al Qaida et Daesh et qui bien entendu s’y reconnaitra demain.

 

 

 

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