A propos du Nagorny-Karabagh… retour sur un conflit

A propos du Nagorny-Karabagh… retour sur un conflit

A propos des combats au Nagorny-Karabakh
et du conflit Arméno-Azerbaïdjanais

Depuis le 27 septembre des combats de grande intensité se déroulent entre forces arméniennes et azerbaidjanaises, principalement autour de la région du Nagorny-Karabagh

 

Un texte de Bernard Dréano (auteur de Guerres et paix au Caucase, Empires, peuples et nations, Editions Non-Lieu, Paris 2009), qui rappelle les enjeux de ce conflit de l’espace post-soviétique improprement dit « gelé », commencé sous l’URSS déclinante en 1988 et provisoirement stop par un cessez-le-feu sans cesse rompu depuis 1994. Une première véritable escalade s’était produite en avril 2016, la Guerre des 4 jours, avant la nouvelle reprise des combats le 27 septembre.

 

 

 

Lors de la chute de l’empire tsariste en février 1917, puis dans les années qui ont suivi, les régions du Caucase (au sud et au nord des montagnes du Caucase) ont connu de nombreux conflits violents qui ont duré plusieurs années. Les bolchéviks ont fini par contrôler toute la région, créant une éphémère république de Transcaucasie, puis, en 1936 trois républiques différentes de l’URSS : la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Dans chacune des républiques existent différentes ethnies minoritaires plus ou moins nombreuses et des majorités géorgiennes (de langue géorgienne et en majorité de confession chrétienne orthodoxes), arméniennes (de langue arménienne et en majorité de confession chrétienne apostolique) et azéris (de langue proche du turc et de confession en majorité musulmane). Mais Staline a défini les frontières de ces nouvelles républiques en créant des zones plus ou moins problématiques : de nombreuses populations sont déplacées, la région du Nakhitchevan est rattachée à l’Azerbaïdjan bien que située à l’ouest de l’Arménie, et la plupart de ses habitants arméniens déplacés, tandis que la région du Nagorny-Karabagh, à l’est de l’Arménie (Nagorny c’est-à-dire « haut » en russe, Karabagh c’est-à-dire « jardin noir » en turc, pour un territoire que les Arméniens appellent Artsakh) peuplée en grande majorité d’Arméniens (mais dont la ville de Chouchi (en azéri) ou Choucha (en arménien) est un des centres de la culture littéraire et musicale azérie), est séparée du territoire de la République soviétique d’Arménie par le corridor de Lachin (dont sont chassés les Arméniens)…

Les Arméniens du Nagorny-Karabagh demandent en 1988 le rattachement de leur province à l’Arménie, revendication soutenue par tous les Arméniens d’Arménie et la grande majorité de l’intelligentsia russe, alors refusée par le gouvernement soviétique de Michael Gorbatchev, et rejetée par le gouvernement d’Azerbaïdjan.

La guerre commence pendant l’automne 1988 et durera jusqu’en juin 1994 avec la victoire des troupes arméniennes. Elle va faire plus de 30 000 morts et provoquer le déplacement de plus de 400 000 Arméniens (qui vivaient dans les grandes villes d’Azerbaïdjan, en particulier à Bakou), et de 800 000 Azerbaïdjanais qui vivaient au Nagorny-Karabagh, dans les territoires conquis par les Arméniens (corridor de Lachin et rive gauche du fleuve Araxe) et en Arménie.

Les tentatives de paix

Pendant que les combats faisaient rage, plusieurs organisations des sociétés civiles d’Arménie et d’Azerbaïdjan vont travailler ensemble, avec le soutien d’autres associations, géorgiennes et internationales. C’est ainsi que Anaïs Bayandour (d’Arménie) et Arzu Abdulayeva (d’Azerbaïdjan), recevront pour leurs actions le prix Olof Palme pour la paix en 1993. Elles sont toutes deux membres du réseau Helsinki Citizens’ Assembly (HCA, fondé à Prague en 1990), qui va multiplier à la fin des années 1990 et au début des années 2000 des initiatives dans le Sud-Caucase (réseau de femmes, de jeunes, de familles de victimes de guerre, réunions à Bakou comme à Erevan et en Géorgie, etc. ainsi que le dialogue arméno-turc).

Le Groupe de Minsk, formé par l’Organisation pour la coopération et la sécurité en Europe OSCE, co-présidé par les États-Unis, la France et la Russie est chargé à partir de 1994 de la négociation pour un accord de paix. Plusieurs idées sont mises en avant : modification des frontières, obtention d’un statut du Nagorno-Karabakh similaire à celui des îles d’Aran (îles peuplées de Suédois sous juridiction finlandaise), indépendance sous contrôle similaire à celle accordée au Kosovo à l’époque, affirmation des droits de tous les réfugiés, etc. Haïdar Alyev, l’ancien chef de l’Azerbaïdjan soviétique, qui a repris le contrôle du pays en 1993 et négocié le cessez-le feu, et dont le pays est exsangue, semble favorable à une négociation… que Robert Kotcharian devenu l’homme fort de l’Arménie, ne souhaite guère, ne voulant pas entendre parler d’un quelconque retrait de tout ou partie d’une évacuation des territoires conquis en dehors du Nagorny-Karabagh ou de retour d’Azéris à Choucha.

Pendant la guerre, la Russie a fourni des armes et des conseillers à l’Azerbaïdjan, tout en soutenant les Arméniens, puis obtenu un accord de défense avec l’Arménie et l’installation de soldats russes sur son territoire. La Turquie a soutenu l’Azerbaïdjan et fermé sa frontière terrestre avec l’Arménie du fait du conflit, mais a eu des velléités de prendre une position plus médiatrice après la prise de pouvoir des islamo-conservateurs en 2003 et surtout de la politique « zéro problème avec les voisins » du ministre des affaires étrangères Ahmet Davatoglu. Les Américains ont publiquement plutôt soutenu les Arméniens (du fait aussi de l’activité de la diaspora arménienne aux Etats Unis) et plutôt discrètement soutenu les Azerbaïdjanais pour des raisons pétrolières, mais aussi dans leur souci d’encercler l’Iran (surtout quand Georges W. Bush est président), la République islamique de son côté ayant soutenu l’Arménie.

Comment le conflit gelé va se réchauffer

L’arrivée d’Ilham Alyev (fils d’Haïdar) au pouvoir en Azerbaïdjan en 2004 va entraîner une dégradation continue de la situation : d’une part, et progressivement, la situation des droits humains en Azerbaïdjan va se dégrader, surtout après 2011 et la peur d’une contagion des « printemps arabes » dans la région ; d’autre part par l’enrichissement considérable de la maffia au pouvoir, du fait des ressources gazières et pétrolières du pays, accompagné d’un accroissement vertigineux des inégalités, d’une rhétorique nationaliste et revancharde de la propagande, et d’un achat massif d’armements (alors qu’Arménie et Azerbaïdjan sont théoriquement sous embargo décrété par l’ONU depuis 1992), principalement russe, israélien, turc, un peu français… sans compter les accusations de trafic d’armes en liaison avec les saoudiens . Et la Covid accentue les tensions internes…

Les pouvoirs en Arménie de Robert Kotcharian Président de la république de 1998 à 2008  et de son successeur Serge Sarkissian jusqu’en 2018 sont caractérisés par la corruption et la dégradation des droits humains (même si c’est moins catastrophique qu’en Azerbaïdjan) et à l’évidence par une volonté des autorités arméniennes de maintenir le statuquo qui était supposé leur être favorable.

La baisse des prix du pétrole et la dégradation de la situation économique et sociale en Azerbaïdjan va provoquer une accentuation du discours nationaliste, jusqu’aux incidents graves déclenchés par l’armée d’Azerbaïdjan au Nagorno-Karabakh en 2016.

A partir de 2009 (plus encore après 2013 et surtout après le putsch raté de juillet 2016 en Turquie), le gouvernement turc de Recep Tayyip Erdogan va abandonner la politique du « zéro problème avec les voisins », puis accentuer son discours nationaliste et multiplier les aventures militaires, d’abord en Syrie, puis en Libye. Il semble être directement intervenu dans l’actuel conflit du Karabakh de 2020 (un chasseur arménien aurait été abattu par un avion turc, des mercenaires syriens recruté par la Turquie seraient impliqués sur le terrain).

Le régime arménien corrompu a été renversé par la révolution non-violente de 2018 qui a porté Nikol Pachinian au pouvoir. Mais la marge de manœuvre de celui-ci est très limitée. Et là aussi la Covid fait rage…

Les Russes ne peuvent pas sans risque laisser l’Arménie s’effondrer, mais dans quelle mesure ont-ils les moyens de faire pression sur l’Azerbaïdjan ? Vladimir Poutine attend peut être un épuisement des uns et des autres (et notamment des Arméniens) pour imposer son influence…

Les Américains sont hors course pour cause de présidentielles, les européens guère efficaces, les uns et les autres ayant des intérêts pétroliers notables en Azerbaïdjan…

La lutte pour l’arrêt immédiat des combats, et le redémarrage d’un processus pour une paix durable en Azerbaïdjan est indispensable…mais difficile.

Notons toutefois au passage que la (sympathique) équipe de football du RC Lens a été en 2012-2016 contrôlée financièrement par le milliardaire azerbaïdjanais proche du pouvoir Hafiz Mammadov…

Bernard Dreano
Assemblée européenne des citoyens (Helsinki Citizens Assembly- France)
Le 30 septembre 2020

 

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