PUBLICATION « La pandémie et les droits humains » de Dragana Dardic

PUBLICATION « La pandémie et les droits humains » de Dragana Dardic

La Pandémie et les droits humains – qui va contrôler les contrôleurs ?

 

Dragana Dardić, 14 avril 2020

https://hcabl.org/pandemija-i-ljudska-prava-ko-ce-nadzirati-nadzirace/

 

Ce texte a été publié par nos partenaires du Helsinški Parlament Gradjana Banja Luka (HPG/HCA Banja Luka,) en Bosnie-Herzégovine dans l’entité « République Serbe ». une illustration du fait que des pouvoirs autoritaires comme celui dans ce cas de Milorad Dodic, ou d’ Aleksandar Vučić en Serbie, mais aussi de Viktor Orban en Hongrie, de la droite polonaise et de bien d’autres pays, profitent de la situation pour restreindre les droits fondamentaux et la liberté d’expression. 

 

« Quatre jour seulement ont passé depuis que l’état d’urgence a été annoncé et que le gouvernement et le Président de la Republika Srpska (RS) ont saisi les autorités compétentes et instauré une série de décrets ayant statut légal. L’un est relatif aux sanctions pour « avoir causé la panique ou le désordre »

Invité à la télé, le Président  a expliqué que ce décret « pourrait permettre un fonctionnement harmonieux des institutions de la Srpksa au moyen de certaines procédures », ajoutant qu’elles étaient guidées par les intérêts des citoyens «  à fin que ceux-ci ne se retrouvent pas en position délicate ».

Mais les citoyens sont d’ores et déjà « en position délicate ». les travailleurs sur le marchés se sont arraché les cheveux pour fournir des centaines de kilos de farine pour remplir les étagères, se sont écorchés les mains avec les désinfectants, les travailleurs médicaux ont des ecchymoses à cause des masques de protection, certains ne sont pas inclus dans les mesures d’aide économique, d’autres ont été licenciés, la vie familiale est en danger… Cependant ce texte n’a pas pour objet de discuter des problèmes et conséquences de la pandémie, mais seulement du statut particulier entré en vigueur en RS et quels  en sont les impacts directs sur la liberté d’expression et de pensée et la liberté des médias.

 

Mise en place du règlement sur les sanctions pour cause de désordre et de panique

En l’occurrence, il n’est pas encore clair envers qui et sur quels critères vont être sanctionnés les fauteurs de panique et le désordre, dont le but, nous a expliqué le ministre de l’intérieur de RS Dragan Lukač, est d’empêcher les propagation intentionnelles ou non, de panique et de peur pendant l’état d’urgence . Ce que nous savons c’est que ceux qui violent ces dispositions législatives devront payer de fortes amendes, de 1000 BAM pour les individus jusqu’à 9000 BAM pour les personne morales, (de 510 à 4600 €) et cela vaut aussi pour ceux qui causeront panique et peur via les réseaux sociaux.

Plus que jamais pendant cette crise, l’information est nécessaire. Quel-est l’impact du virus sur notre corps ? Quel traitement? Où et quand puis-je me déplacer? Quels sont les heures d’ouverture des épiceries, Qui a droit à des mesures de soutien économique, Auprès de qui peut-on  porter plainte ? Être informé de la situation est une nécessité de base. Et comment va-t-il être décidé si une information ou une annonce cause panique ou désordre ou s’il s’agit d’un argument critique et justifié vis-à-vis des institutions ou révélant un problème ? Il n’y a aucune réponse claire à ces questions, et il est raisonnable de s’interroger sur la valeur d’un tel règlement.

Il semble que le décret cherche avant tout à inciter les gens à réfléchir avant d’écrire quoique ce soit, de peur d’être punis en disant ou en écrivant quelque chose. Ainsi, ils ont sans doute en mémoire que des personnes sont déjà en captivité pour avoir soi-disant répandu la panique. Draško Stanivuković a été accusé de répandre panique et mensonges à propos des ouvriers de l’usine « Bema » infectés par le virus ( ce qui s’est avéré être une information exacte), et qu’ensuite il ait reçu une convocation de la police pour interrogatoire du fait « d’avoir répandu la panique en annonçant une vidéo avec un contenu fallacieux » , une vidéo ou des gens parlent des mauvaises conditions de quarantaine dans le complexe sportif d’Obilićevo.

 

Interprétation arbitraire du décret

Nous posons une question légitime. Est-ce que, par exemple, l’information sur les pratiques de corruption lors des achats de matériels médicaux peut être comprise comme tentative de causer la panique et le désordre ? Ou bien, une information sur le manque d’équipement de protection dans les hôpitaux peut-elle être interprétée de la même façon ? 

C’est littéralement ce qui est arrivé à la journaliste de Serbie Ana Lalić quand elle a publié sur le portail Nova.rs, un texte sur les conditions du Centre Clinique de Vojvodine. Elle a été détenue au commissariat et son téléphone et son ordinateur lui ont été confisqués. Le Centre Clinique de Vojvodine l’a accusé de mettre en cause sa réputation et d’avoir créé la panique avec un texte dans lequel des travailleurs médicaux parlaient des mauvaises conditions de cet établissement médical. Ana a été libérée, mais le Gouvernement de Serbie, après de violentes critiques d’organisations tant locales qu’internationales, a décidé de publier « un décret sur capacité d’informer le public pendant la pandémie de Corona Virus ». Ce décret prévoit que l’information sur la pandémie ne peux venir que de la cellule d’urgence dirigée par la Premier ministre Ana Barnabić, afin de protéger les citoyens d’informations non-vérifiées . Après sa remise en liberté, Lalić a confirmé tout ce qu’elle avait écrit sur les conditions en temps d’épidémie et que « la plus grande panique a était causée par le Président (de Serbie) Aleksandar Vučić quand il a déclaré une quarantaine sous vingt-quatre heures, sans se préoccuper de la façon dont les gens allaient pouvoir s’approvisionner dans les épiceries, ce qui a provoqué une panique massive pour acheter les produits de première nécessité .

 

Il est important de s’interroger sur l’opportunité des mesures et décrets adoptés

Même dans le cas d’épidémies comme celle-ci cause par le corona virus, il est légitime de se poser de telles questions , de questionner l’opportunité de mesures et de décrets, spécialement dans l’éventualité de possibles violation des droits humains, en ce cas de violation de la liberté de parole et de droit à l’accès à l’information. A mesure que cette situation de confinement et d’état d’urgence s’étends, de nouvelles questions apparaissent quotidiennement et la crainte que l’état d’urgence soit mal utilisé .

Bien qu’en ce moment, la santé physique et mentale est prioritaire, nous ne devons pas renoncer à questionner la validité et l’efficacité des mesures adoptées à différents niveaux en Bosnie Herzégovine.

C’est pourquoi l’Initiative de suivi de l’intégration européenne (Initiative for Monitoring of European Integrations) a , à juste titre pointé le fait que rendre public les prénoms et noms de famille des personnes en isolation violait la loi de protection des donnes personnelles de Bosnie Herzégovine, et avant tout la vie privée qui est un droit humain de base, et l’ensemble des lois sur les droits des patients. Il est souligné qu’en l’occurrence ceux qui acceptant cette mesure sont ciblés et stigmatisés, et que toute supervision de ces personnes devrait rester strictement entre les mains de la police et non entre celles des citoyens, voisins et amis.

« Nous sommes particulièrement préoccupés par le fait que ces répercussions pourraient décourager les citoyens qui ont des symptômes du Corona virus pour contacter les institutions compétentes et faire les tests, de façon à éviter la stigmatisation  en donnant leur noms » a précisé, entre-autre, le communiqué de l’Initiative.

D’autre part la section de Bosnie Herzégovine de Transparency International (TI BiH)  a prévenu que la liste des travailleurs qui ont supposément abandonné leurs revenus personnels pour le Fond de solidarité pour le rétablissement de la Republika  Srpska, se faisait sans base légale et peut servir de moyen de pression et de discrimination pour ceux qui n’accepterait pas cette recommandation. C’est pourquoi TI BiH a dénoncé le Ministère de l’éducation et de la culture auprès de l’agence pour la protection des données personnelles .

 

Pétition des citoyens de la fédération

L’illégalité de la décision d’une interdiction de mouvements des personnes de moins de 18 ans en Fédération de Bosnie Herzégovine, a été soulignée par la « Pétition des citoyens de la Fédération » qui précise que les enfants ne sont pas un groupe à risque impacté par le Corona virus, qu’aucun Etat de la région et même d’Europe n’a adopté pareille mesure, et que cette décision d’interdiction de déplacement des enfants et injustifiée, non proportionnée et discriminatoire

Il s’agit là seulement d’exemples des inconsistances est des mesures à la légalité discutable, qui ont été soulevées. Ce n’est pas l’objet de ce texte de décrire la situation qui prévaut ces jours-ci. La raison de ce texte est  de souligner la nécessité de contrôler les réponses institutionnelles au COVID19, pour prévenir les éventuelles violations des droits humains. Les mesures adoptées doivent être limitées, justifiées, d’avoir une date d’expiration précise, et nous devons « contrôler » ceux qui les mettent en œuvre, pour qu’elles ne soient pas mal utilisées ou qu’elles conduisent à des discriminations. Même en temps de pandémie nous devons respecter les conventions et lois et faire attention que les mesures adoptées soient fondées sur l’humanisme, le respect du genre et la point de vue des groupe marginalisés. »

 

L’original de ce texte a également été publié sur: www.ba.boell.org

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